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Chant Second : "La Grande Guerre de notre temps..."

Le guerre de Vengeance mené par les Gobelyns s'éternisa, et de nouveaux peuples prirent peu à peu part au conflit...
De conflit majeur, l'on passa à un conflit total, chaque peuple faisant jouer ses alliances politiques ou culturels pour étendre encore et toujours plus les carnages et les batailles, jusqu'à ce que l'ensemble des Terres de Saïhan semble devoir s'embraser dans les torrents de feu du Chant de Mort...

Des créatures oubliées sortaient des forêts les plus profondes et des montagnes les plus hostiles. Des maléfices que l'on ne murmurait même plus revinrent hanter les cauchemars des vivants. Le Carnâan Würm emplit le ciel d'orages de sang et d'éclair de désespoir. Les légendes de destruction du passé redevinrent une douloureuse réalité, et l'avenir devenait de plus en plus incertain...

Le monde basculait peu à peu dans la violence et la démesure, sans qu'aucun Vénérable, Haut-Seigneur ou Sharra ne daignent faire preuve de la moindre pitié, de la moindre compréhension, ou de la plus salvatrice retenue. Les grandes instances de ce monde dénaturé semblaient mettre tout leur pouvoir à faire empirer la guerre, sans raison ni conscience ! A tel point que chacun en vain à prendre peur : le Magyön était-il en train de devenir fou ?
Les Terres de Saïhan pourraient elles seulement survivre à ce qui se déchainait en ces instants terribles ?

Les Loups

Les Loups sont des humains sales, brutaux, et rustres. Guerriers agressifs aux moeurs barbares et féodales, leurs petits royaumes brillent plutôt par leurs connaissances en architectures et engins de guerre que pour ses prouesses philosophiques... Hermétiques au raffinement et à l'harmonie, ils ont mis leur intelligence, leur pugnacité et leur ruse au service de leur soif de conquête débordante, dans un esprit de meute tyrannique. Leurs royaumes furent longtemps alliés des Daronoans, dominés qu'ils étaient par la puissance brute et la civilisation elfique, plus avancée que la leur. Mais la guerre contre les Gobelyns a affaibli les Daronoans, et il n'a pas fallu longtemps pour que les Loups décident de se battre pour leur propre compte plutôt que pour la Couronne d'Or. Les Daronoans y perdent un allié puissant et des renforts importants, mais les Gobelyns y retrouvent un nouvel ennemi à affronter de front...

Vous êtes un féroce dresseur des Loups, rejoignant la meute de vos frères au combat pour vous tailler un trésor de guerre et un tribut de sang sur les corps de vos ennemis. La guerre est votre loi, et la mort vous accompagne sur les chemins de Saïhan !

Le récit qui suit fût envoyé dans le plus grand secret aux joueurs apparaissant dans l'histoire, et le resta pendant des années.
Catherine d'Erthys était déjà partie du jeu, mais méritait cet hommage posthume. Dunn Khan supprima son compte, pour en recréer un autre : celui de Raickorn Leî. Skagorr, Scytale, Erïan et Marius perdurèrent encore quelques temps, puis rejoignirent d'autres pseudos ou d'autres horizons...
Tous marquèrent l'histoire de Saïhan à leur manière.

Renouveau


Syskayïn fût guidé dans les tréfonds des catacombes du castel par un homme de haute stature, dont la torche faisait jouer ses reflets sur les parois des couloirs qu'ils descendaient peu à peu. Les murs suintaient d'humidité, mais des pierres énormes bâtissaient des couloirs étroits et imposants de puissance.
Même ici, dans des souterrains que la lumière ne connaîtrait jamais, on pouvait sentir toute la solidité invulnérable de la forteresse qui se dressait là haut, à la surface.

L'être qui lui servait de guide cachait son visage et son appartenance sous une capuche profonde et des vêtements le couvrant intégralement. L'origine indéniablement gobelyne de Syskayïn ne semblait pas le gêner plus que cela, ce qui pouvait paraître étrange dans un tel lieu.
Syskayïn était plus petit que lui, mais il rayonnait littéralement de puissance et de force contenue. Son visage élégant aux oreilles très longues et pointues, et aux traits accentués par les aléas du temps, laissait paraître de manière brutale sa peau couleur de terre, aux ombres brunes tirant parfois vers le vert. Il n'exprimait rien d'autre qu'une profonde colère contenue, comme enterrée dans un labyrinthe de chairs indéchiffrables.
Tout ce que l'on pouvait ressentir en observant ce guerrier pugnace, c'était le dragon qui habitait son âme, cherchant à se frayer inlassablement un chemin à travers l'honneur diplomatique silencieux de Syskayïn…

Le guide sentait cela, comme tout le monde, Syskayïn pouvait le lire dans la retenue légère de ses gestes précis. Une marque de respect et de prudence très discrète, mais indéniable pour qui sait lire à livre ouvert dans le comportement des créatures qui l'entoure…

Au plus profond d'une crypte sans âge, Syskayïn franchit une dernière porte, et rentra de plein pied dans l'assemblée irréelle qui s'y trouvait, et à laquelle il avait été invité à prendre part.
La pièce était sobrement meublée : une grande table d'arytea massif au centre de la pièce, quelques râteliers d'armes et armoires de rangement. Une pièce d'état major reculée et obscure; malgrés les quatre torches et braseros qui en éclairaient les murs et les quelques portes d'accès.
Le guide s'effaça prestement devant les figures incroyables de la guerre de Saïhan qui se trouvaient dans la pièce, rassemblées ici en dépit de tout bon sens, ou selon une cruelle logique.

Il y vit la cruelle et froide Catherine, héritière de la baronnie d'Erthys, qui avait la réputation de tuer ses alliés comme ses ennemis lorsqu'elle n'était pas obéie. Elle était engoncée dans une énorme armure lourde daronoan, à la facture parfaite, mais dénuée d'apparat superfétatoire. Son visage grave et son teint cendreux, rehaussés de deux yeux glacés , en faisant un être qui paraissait plus mort que vivant. Mais ses gestes impérieux et sec comme le vent des montagnes changeait rapidement cette opinion : Catherine n'était pas morte, elle était le passeur, une entité au service de la Faucheuse, qui avait fait couler des rivières de sang gobelyn depuis le début de la Guerre...

A côté d'elle se tenait un commandeur daronoan à l'allure plus vive. Il était légèrement plus petit et trapu, et gardait son casque ouvragé, qui surmontait et complétait son armure qui avait été autrefois brillante et prestigieuse, et qui avait désormais connu nombre de batailles meurtrières. Il avait beau se dissimuler derrière son heaume, Syskayïn le connaissait bien, et les deux haches de bataille carnassières qui pendaient étaient reconnaissables entre mille. Eriän aussi avait marqué nombre d'armées gobelynes de son sceau de mort.
Son ascendance à demi-gobelyne restait un mystère pour tous, mais l'entrée en guerre des deux plus grands peuples des Terres de Saïhan l'avait condamné à ne pas trop afficher la couleur légèrement verte de sa peau, et les consonances accusatrices de son nom. Néanmoins, aux yeux des gobelyns, ses actes parlaient d'eux même : des sillons sanglants et des carnages sans pitié aux portes du labyrinthe des Passes, teintant à jamais la terre en rouge…

Dans un autre coin de la pièce se tenait, adossé contre un mur, un daronoan à la vêture et aux manières bien moins noble, bien qu'il se dégageait de lui la même prestance des généraux aux talents innombrables et aux succès indéniables. Ses vêtements étaient tâchés et élimés, et sa cape, déchirées par endroits. Il ne portait qu'une armure légère, dont il avait de toute façon retiré certaines pièces. Beaucoup d'objets étranges aux usages inconnus pendaient de nombreuses poches, et le pommeau de sa lourde épée semblait dénoter une lame époustouflante de qualité, mais dont le fourreau terne et rapiécé ne faisait qu'accentuer l'air intriguant et presque dérangeant qui se dégageait du personnage. Le maigre sourire félin qui jouait sur son visage dévasté de cicatrices prouvait si besoin était qu'on avait affaire là à un des plus vieux vétéran de la Guerre de Vengeance : le Chevalier-Lyre Skagorr. Beaucoup de rumeurs voyageait avec lui, et tous les commandeurs, alliés ou ennemis, l'avaient au moins aperçu une fois dans leur vie, qu'ils le sachent ou non. Skagorr avait parcouru tous les champs de bataille, et avait fait parler de lui des Marais des Pleurs aux contreforts de Karân, et plus loin encore, en passant par les plus hautes montagnes du centre, ou menant des expéditions vengeresses dans les plus profonds déserts gobelyns, où même là, en territoire ennemi, il ne laissait que peu de témoin de ses talents martiaux...

Que dire alors de l'énigmatique Marius, qui cachait son origine inconnue et son armure d'obscurne légendaire sous des vêtements simples ? Il était trop grand pour être gobelyn, bien qu'il leur ressembla. Il était venu de nulle part, mais avait eu les faveurs du Synode des Vénérables et du Cercle des Sharras réunis. Qui était-il ? Que venait-il faire dans cette guerre ? Toujours est-il que c'était par son nom étrange que les daronoans avaient appris à redouter une issue fatale à la Guerre, et à voir approcher leur mort en face. Ce n'était peut être pas le plus grand combattant de cette assemblée, mais c'était le plus grand et réputé chef de guerre, et peut être le seul être à pouvoir faire face sans sourciller aux daronoans présents sans craindre pour sa personne.  En effet : que l'on apprenne sa mort ici, dans cette crypte, et les daronoans de cette salle devraient affronter personnellement la fureur d'armées gobelynes innombrables, et devraient échapper sans répit aucun à des milliers de traqueurs, d'espions et de monstres qui se lanceraient immédiatement sur leurs traces. Les Sharras avaient donné la Fureur et la Colère aux gobelyns, Marius leur avait désigné les cibles, personne ne pourrait oublier cela…

Le dernier commandeur présent était celui qui était à l'origine de cette assemblée. C'était à son appel que tous avaient répondus.
Dunn Khan présidait ce cercle de légendes vivantes. Il avait beaucoup changé, depuis les premiers mois de cette guerre sans fin. Venu des Raîcklings, la Lame des Oubliés s'était taillé un nom glorieux et vengeur au front. Après des mois de victoires, alors qu'il avait mené les Daronoans aux portes des déserts gobelyns, au delà du labyrinthe des Passes, Dunn Khan avait disparu sans laisser de traces…
Syskayïn avait entendu des rumeurs, de sombres histoires de quêtes, d'obscurs récits de folie et d'épée légendaire…
A voir Dunn Khan, le gobelyn su que tout avait été fondé. Le Daronoan portait sur son dos une lame d'une noirceur infernale, il pouvait le sentir d'ici. La Lame pulsait, et irradiait une puissance que Syskayïn n'avait jamais pu voir ailleurs que chez les Archontes. Et pourtant, c'était différent…
Dunn Khan avait bien changé : des veines noires saillaient sur son visage gris, et parfois la folie se lisait sur ses traits. Le gobelyn avait entendu dire que le commandeur était parfois pris de crise de démence incontrôlable, sur le champ de bataille. Il avait entendu parler du "Freyr", une maladie propagée par d'anciennes Lames dont plus personne n'osait évoquer les mythes, même dans les alcôves d'émeraude de la Forêt des Murmures. Dunn Khan avait de toute évidence été atteint par ce mal insondable, et avait perdu sa gloire d'antan, ne propageant désormais derrière lui que des récits de batailles désincarnées, où un commandeur menait des armées de souffrance dans des combats rageurs, d'où ne perçaient que des cris de guerre déments et le râle des agonisants…
Dunn Khan n'était plus un ennemi abhorré, mais un monstre redouté de tous…

Et enfin lui, Syskayïn…

Il avança plus près de la grande table au patin mordoré, et ne dit mot. C'était inutile. Tous étaient des ennemis abhorrés, mais tous étaient réunis ici. Chacun arborait ses armes et ses armures, dans une attente qui aurait pu être nerveuse, s'ils n'avaient des guerriers et des stratèges accomplis. Un calme étouffant plongeait la pièce dans une gangue invisible, comme s'alliant au poids des pierres au-dessus de leurs têtes, pour imposer à l'assemblée un silence plus lourd qu'une montagne…

Dunn Khan prit alors la parole, de sa voix caverneuse aux accents profonds et au rythme lent :
- Une page de l'histoire des Terres de Saïhan se tourne… Et c'est nous qui tenons le Grand Livre. Pour notre présence ici, si elle venait à être connue, nous serons pourchassés et mis à mort par les plus hautes instances de ce monde…
Il marqua un temps, regardant chacun dans les yeux, comme pour s'assurer que nul ne s'était fourvoyé quant à sa venue.
- Mais c'est parce nous nous doutons d'une réalité bien plus préoccupante que nous avons chacun pris ce risque insensé d'aller contre toutes nos croyances, nos fois, nos convictions les plus intimes…
Il secoua la tête, et la pencha, comme regrettant déjà de tristes constatations.
- Chacun d'entre vous s'est battu avec férocité et abnégation, et partout, nous avons fait le même constat : cette guerre est une aberration ! Son ampleur a dépassé toute raison, sans qu'aucune limite ne puisse en être visible ! Nous courrons tous à notre perte, et vous le savez comme moi. Nos sommes tous des femmes et des hommes de guerre, et nous savons lire entre les lignes des batailles : cette guerre est trop grande pour être arrêtée. Les moyens déployés ne pourront plus être stoppés, et les carnages n'ont plus aucune limite.
Ce qui est à l'œuvre ici nous dépasse tous, et emportera les Terres toute entière dans la mort ! Gobelyns comme Daronoans ne peuvent survivre à ce qui se joue là haut, désormais. Vous le sentez comme moi, vous le savez comme moi, et c'est pour cela que vous êtes venus.
Chacun opina légèrement, en accord avec les paroles du Daronoan. Il poursuivit :
- Nous sommes tous dépositaires de questions contre-nature, qui ne nous apportent que tourments au cours de ces nuits trop courtes et ces journées désespérées.
La première se posent même sur les lèvres Daronoans : comment vous, les gobelyns, pouvez être encore si nombreux ? Tout le monde sait que ce sont les Sharras qui vous donnent la vie, mais le… le meurtre de votre Reine et l'entrée en guerre des Sharras a fait cessé ce cycle. Plus aucun gobelyn ne vient au monde, désormais, alors d'où vous viennent ces troupes innombrables, envoyées au combat sans aucune retenue, et cette certitude désormais établie que vous n'avez encore engagé qu'une infime partie de vos troupes dans cette guerre ?
Syskayïn sentit malgré lui le dragon de son âme chercher à se libérer. Il n'avait qu'une envie : prendre ses armes pour se noyer dans le sang de ces elfes pourpres. Mais il fit taire ce que le Magyön lui dictait. Il luttait contre l'emprise de ses instincts viscéraux, dans un combat acharné où la raison et l'importance du discours de Dunn Khan devait l'emporter. Cela seul comptait, car la Mort ne répond jamais à aucune question, et le gobelyn en avait trop, sans réponse aucune…

L'elfe au visage parsemé de veines noires laissa sa place à Skagorr, dont les traits anguleux et la cape pourpre élimées jouèrent d'ombres sous la lumière blafarde :
- J'ai parcouru le grand Monde, jusque dans ses plus sombres recoins, jusque dans des contrées inhospitalières où la civilisation n'existe plus…
Sa voix était éraillée et rocailleuse, avec des accents subtils et vigilants. Le Pèlerin continua :
-  J'ai vu l'œuvre du Magyön plus près que quiconque ici, et j'ai vu l'ordre dans le chaos, le grand schéma d'existence qu'on appelle le cycle de la vie. Je l'ai vu sous toutes ses formes, foisonnant partout à la surface de Saïhan, et même en dessous. En haut des cimes des glaciers hurlants, comme au bord des océans, dans les landes infinies comme dans les bois de jade et d'ocre.
Et partout, j'ai vu émerger de nouvelles formes de vie, de nouvelles créatures. Partout, j'ai vu la nature devenir comme folle, et mettre au monde des monstres de guerre, des créatures malfaisantes, qui ne vivent que pour la guerre et la souffrance. Certaines ont émergé de la volonté secrète des Sharras, je le concède avec humilité, mais beaucoup d'autres n'ont rien à voir avec elles, ni avec quoi que ce soit de "naturel"…
Syskayïn trouvait les paroles de l'elfe pourpre étranges, mais d'un intérêt aigu, car elles faisaient échos à beaucoup de rumeurs qu'il avait pu entendre dernièrement …
Le Daronoan ouvrit une de ses poches, et en sortit un assortiment de dents. Elles étaient toutes pointues, et certaines, même, barbelées. Toutes appartenaient à des carnivores de grande envergure, cela ne laissait aucun doute. Et quelques unes étaient plus longues qu'une main ouverte. Skagorr commenta ces trouvailles :
- Le Magyön devient bizarre, ces temps ci. J'ai affronté beaucoup d'espèces nouvelles… féroces… et particulièrement dangereuses. Ces nouvelles espèces meurtrières ne répondent à aucun équilibre, et ne font que semer la mort partout où elles passents. Elles sortent des forêts et des marais, des cavernes et des failles, et sèment partout autour d'elle la dévastation des grands prédateurs, sans laisser aucune chance aux cycles de vie. Ces monstres se laissent apprivoiser pour la guerre, ils sont nés pour cela.
On dirait que les Terres de Saïhan crachent tout ce que leur ventre possède de violence et de fureur. Ce n'est pas normal, ce qui se passe ici. Nous assistons à une transformation lugubre de la destinée de ce monde, et nul n'en connaît l'origine ou les causes…

Il avait raison, l'expérience de Syskayïn approuvait ces dires. Combien de monstres cyclopéens avait dû affronter le gobelyn, ces derniers temps ? Combien de créatures mystérieuses et terrifiantes ?
D'un regard à Dunn Khan, Skagorr repartit dans l'ombre, et Marius prit sa place, son visage indéchiffrable et sa voix posée ne laissant transparaître aucune émotion :
- Je suis l'interlocuteur de beaucoup de peuples, et j'ai discuté avec beaucoup de haut-dignitaires et de porte-paroles. Peu m'ont apporté la moindre réponse, et beaucoup étaient même plongés dans la confusion et la perplexité quant à l'orientation diplomatique de leurs dirigeants. Mes oreilles ont écouté beaucoup de rumeurs d'alcôves, et mes yeux en ont vu plus encore. Mais tout comme vous, de réponses je n'ai point trouvé. Bien des peuples réputés pacifistes, civilisés ou simplement neutres sont entrés en guerre, sans que personne ne sache jamais ce qui a poussé les dirigeants de ces nations respectées à le faire. J'ai vu des alliances secrètes se nouer dans des salles obscures, des pactes aux accords inconnus, sur des causes et conventions contre-nature. J'ai vu les Granïts partir en guerre, eux qui avaient juré de ne rester qu'observateur dans ce conflit. J'ai vu les Hôrls quitter leurs enclaves séculaires pour prendre les armes. J'ai vu les Rhinogres contracter la première alliance de toute leur histoire, eux qui n'avaient jusqu'alors qu'ennemis et trophées de guerre. J'ai vu les Esprits Planaires et les Ethérés utiliser leurs étranges pouvoirs pour des causes qui nous dépassent. J'ai vu les morts se relever, et les vivants se coucher, et bien plus de choses encore. Moi aussi j'ai vu le monde devenir fou autour de nous tous, et l'Histoire s'abattre sur nos têtes, mais je ne suis pas sûr d'en deviner la moindre clé…

Marius soutint le regard de chacun, puis se recula. Dunn Khan, le natif des Raîcklings, reprit d'une voix forte et impérieuse, accusatrice :
- Je n'irais pas par monts et par vaux : tout cela n'amène que des questions, qui se réunissent toutes. Que fait le Synode des Vénérables ? Qu'attendent ils pour statuer sur cette démesure ? Que doit on lire dans le silence du Roi Poupre ? Pourquoi n'intervient-il pas dans cette guerre enragée ? Les Sharras ont-elles perdues toute raison ? Veulent elles vraiment emporter le monde entier dans leur folie suicidaire ? Où sont les Haut-Seigneurs, maintenant que l'on a besoin d'eux ? Pourquoi ne font-ils rien pour aider leur peuple ? Pourquoi toutes les instances supérieurs, qui dictent leur loi hégémonique et respectée de tous à ces Terres, se plongent dans une absence et un mutisme qui chaque jour tuent des millions de soldats, alliés comme ennemis ? Pourquoi ce silence ? Que cachent-ils tous ? Faut-il…

Ce fut alors que tout s'emballa.
Dunn Khan fut interrompu au beau milieu de sa phrase, par un événement unique, qui marquerait à jamais l'Histoire de Saïhan par sa gravité. Un des portes du fond de la pièce s'ouvrir à toute volée, et éclata littéralement sous la puissance qu'on lui avait administrée. Le Haut-Seigneur Tharoan lui même en émargea, plus rapide qu'un félin, puis impressionnant qu'un rhinogre. Il tenait à la main sa longue hallebarde légendaire, au fil étoilé et tranchant comme une comète de métal pur, et durant le quart de seconde qui lui fallut pour atteindre Dunn Khan, chacun pu constater avec effroi que nul mot ne sortirait de ses lèvres, que nul discours n'était à attendre. Tharoan, engoncé dans son armure carmine éclatante, faisant virevolter sa lourde cape derrière son passage, n'était là que pour tuer. Seul le commandeur venu des Raîcklings était placé de manière à voir les yeux de la légende vivante Daronoan, mais ce qu'il y vit ne fit aucun doute. N'ayant que le temps de se jeter en arrière pour éviter l'impact de la charge du Haut-Seigneur, Dunn Khan dégaina d'un seul geste sa lame, qui vint contrer dans une gerbe d'étincelle et un fracas assourdissant la hallebarde de son agresseur, qui lui aurait tranché la tête dans l'instant s'il n'avait pas réagi à temps.
L'impact des deux lames sonna comme le claquement d'un tonnerre. Que ce fusse réel ou que l'entrechoquement se soit fait l'écho des pensées de chacun, nul n'aurait pu le dire, et cela revenait au même. La réalité qui s'imposait péniblement à l'assemblée, au prix de fraction de secondes critiques, faisait peser un poids dément sur les épaules de chacun. Tharoan était venu pour les tuer, tous, et déployer ses pouvoirs inimaginables dans ce seul but.
Si on leur avait simplement dit que Tharoan pouvait venir les châtier, chacun aurait directement déposé les armes, et aurait abandonné à tout jamais l'art de la guerre : Tharoan était le plus grand des Haut-Seigneurs Daronoan. Il faisait partie intégrante de l'histoire des elfes pourpres, depuis des siècles. Ils pouvaient à lui seul raser des montagnes, et vaincre des armées obstruant jusqu'à l'horizon de part leur nombre. S'il avait voulu participer à la Guerre de Vengeance, le Roi Pourpre n'aurait eu nul besoin d'envoyer le moindre soldat au front : Tharoan aurait suffi.le Haut-Seigneur aurait pu tuer tout le Synode des Vénérables et tout le Cercle des Sharras, sur une simple demande du Roi Pourpre. C'était Tharoan, le guerrier qui ne doit pas prendre les armes, car il n'a pas de vie propre, il EST l'Histoire en marche, et son chemin est fait de Ruine et de Mort…
C'était l'incarnation vivante de toutes les valeurs guerrières daronoans, de toute leur gloire, de toute leur nation et leurs traditions. Tharoan ne pouvait pas prendre les armes contre des Daronoans, c'était tout simplement impossible !

Tharoan avait une aura unique, et dégageait un sentiment de noblesse et de puissance qui faisait plier le genou les empereurs les plus cruels et arrogants. Cette aura, les commandeurs Daronoans comme Gobelyns auraient pu la reconnaître parmi des millions : c'était l'aura du Magyön, c'était le Destin qui les couvrait comme un linceul, les protégeant de la mort et des aléas de l'existence, à tout jamais. Tharoan, comme les Haut-Seigneurs et les Sharras, faisait partie de ce monde à titre exceptionnel. C'était un élu, un être éclairé, supérieur.
On ne pouvait se faire passer pour Tharoan, car c'était désirer se faire passer pour les montagnes les plus hautes et les océans les plus profonds. Personne ne s'y serait jamais laissé prendre, car Tharoan irradiait littéralement. On avait pas besoin de le voir, on pouvait le sentir approcher à des kilomètres à la ronde, et deviner sa présence dans une région au ciel qui s'assombrissait, et au chant des oiseaux qui cessaient.
Tout cela était présent, dans cette pièce, en cet instant. C'était bien Tharoan qui leur faisait face, et les avait attaqué, personne n'avait le moindre doute à ce sujet, quand bien même l'attaque avait été aussi soudaine qu'imprévisible.
C'était donc cela, que les ennemis du Haut-Seigneur avait ressenti ? Ne pas le percevoir, ne pas flairer son approche, avant qu'il soit trop tard. Car pour un être de cette puissance, les désirs devenaient réalité. Tharoan avait voulu cette surprise, avait désiré ne laisser aucune chance à cette assemblée de pouvoir se défendre. Cela seul était terrifiant. Mais que Tharoan prenne les armes, contre ses frères Daronoans, qui plus est, plongeait l'assistance dans l'horreur la plus absolue !

Le temps avait suspendu son vol, et refusait d'avancer. Tous tentait de réagir, mais y éprouvait des difficultés inhumaines. Ils étaient si lent, et lui, si rapide ! On ne pouvait trouver meilleurs combattants que les héros de cette assemblée, sur toute la surface de Saïhan, mais cela ne leur accordait qu'une chance dérisoire…
Dunn Khan para un coup, puis un autre, avant que la puissance d'un coup ne le fasse décoller du sol et atterrir lourdement à l'autre bout de la pièce.
Catherine hurla de rage, et empoigna la table massive d'arytea pour la renverser sur le chemin de Tharoan, tandis qu'elle empoignait sa hache de bataille. Tharoan explosa en deux la table d'un seul coup puissant, obligeant Erïan et Marius a se baisser en un instant pour éviter les morceaux énormes de bois épais volant à travers la pièce et percutant les murs avec un choc sourd.qui résonna.
Catherine n'eut pas cette chance, et fut repoussée dans le fond de la pièce, un énorme carré de bois brut la plaquant au sol.
La détermination du Haut-Seigneur était sans faille, et seuls Catherine et Dunn Khan avaient pour le moment été capable de réagir au choc de cette apparition, de la seule manière qu'il était encore possible de faire : en luttant.
Dunn Khan se releva, ses yeux flamboyèrent de fureur et de folie, et des veines noires dessinèrent des arabesques sur tout son visage, alors que le "Freyr" s'emparait de lui. Son épée semblait absorber la lumière ambiante, et douée d'une vie propre, malfaisante.
Un simple soldat n'aurait vu que des ombres se déplacer, tellement la bataille était rapide, mais pour les vétérans du Magyön qui se trouvaient ici, elle semblait lente, bien trop lente. Tharoan esquivait chaque coup avec une facilité déconcertante, son casque ouvragé impressionnant ne laissant rien paraître de son regard et de son visage. Tharoan n'était qu'une armure, une arme, destinée à ne dispenser qu'une seule chose : la destruction. A chaque coup qu'il paraît, des flammes embrasaient l'atmosphère réduite de la pièce, et un bruit d'explosion foudroyante vibrait dans les oreilles des commandeurs.
Dunn Khan recula sous la puissance d'un coup, et Tharoan tournoya sur lui même. Sa cape suivit, de même que sa hallebarde sanguinaire, et avant que quiconque n'ait pu réagir, tous virent avec horreur la tête de Dunn Khan tomber et rouler au sol…
Il n'y aurait ni fête; ni trompette, car le Seigneur des Oubliés ne rentrerait jamais chez lui, dans les Raîcklings….
Son corps n'avait pas fini de s'affaisser au sol que déjà Tharoan avançait sur Catherine, comme une vision d'apocalypse, un cauchemar brutal qui refuse de partir.
Cela déclencha l'assistance, quand chacun perçu enfin que quelques maigres secondes s'étaient à peine écoulées, mais que le choix restait le même que partout ailleurs, sur n'importe quel champ de bataille : lutter pour vivre, lutter pour survivre, lutter avec la peur et le désespoir au ventre, contre un ennemi invincible, qui avait vaincu et décapité une légende guerrière en quelques secondes..;
Syskayïn dégaina ses lames, et plongea en avant : l'armure carmine du Haut-Seigneur crissa, mais se déroba au dernier instant sous le coup parfait du commandeur gobelyn. D'un pas hésitant, encore sous le choc, Eriän suivit, obligeant Tharoan à reculer, comme s'il ne pouvait se résoudre à attaquer ce pilier de la nation Daronoan.
Syskayïn ne pouvait que le comprendre, lui même sentit l'aura de Tharoan, l'aura du Magyön, s'enroulant autour de son dragon intérieur, et l'éventrer avec violence. Le gobelyn ne ressentit plus aucune trace de férocité en lui, plus rien du legs des Sharras, il ne lui restait plus que le doute, et la certitude absolue qu'on ne pouvait lutter contre la volonté du Magyön, tout comme on ne pouvait lutter contre la détermination de Tharoan. Syskayïn se sentait déjà mort…
Mais son esprit luttait de toutes ses forces contre cette idée, et il n'était pas le seul : Catherine se relevait déjà, un rictus de rage pure au visage, ses yeux brûlants comme deux puits de lave en fusion. Erïan déséquilibra Tharoan, et le repoussa encore, gagnant de précieuses secondes, avec un courage complétement suicidaire, une abnégation et une intégrité glorieuse qui insufflèrent à Syskayïn un respect profond pour son ennemi.
Le gobelyn jaugea la situation : Dunn Khan était mort. Eriän se battait avec l'énergie d'un lion, mais en pure perte. Catherine semblait déterminée à affronter Tharoan, avec une fureur inexorable. Skagorr et Marius étaient restés derrière. Marius avait ouvert une porte, et partait déjà dans l'ombre. Skagorr le regarda, et le gobelyn ne vit nul doute dans ses yeux, ainsi que la solution qu'il avait occulté.
Skagorr et Marius étaient plus vieux que lui, et bien plus expérimentés. Ils avaient su vaincre l'emprise spirituelle de Tharoan, avec une force dont Syskayïn n'était pas encore capable. Skagorr le sauva alors, par son regard calculé et lucide, dans cet instant de folie aberrante. Il savait, et le gobelyn le sut alors, lui aussi. Il n'y avait qu'un chemin, dans les tourments de l'esprit qu'imposait le Haut-Seigneur, qu'un chemin pour survivre. Syskayïn fit taire le Vide en lui, et libéra le Dragon. Son cri résonna aux oreilles de Syskayïn, son combat intérieur enfin terminé, après ces instants d'éternité dans l'antre des Ténèbres…

Libre de ses mouvements, il vit Catherine empoigner Eriän par son épaulette, et le jeter vers eux comme un fêtu de paille :
- ALLEZ !!! Hurla-t-elle.
- Viens, lui murmura Skagorr, notre temps ici est terminé…

Il le suivit, tandis que Catherine seule restait dans la pièce, avec Tharoan, livrant le plus grand combat qu'il y ait jamais eu depuis des siècles.
Syskayïn et Skagorr se mirent à courir dans les tunnels sous la forteresse…



Cela faisait un moment que tous les autres étaient partis. Catherine restait seule, contre Tharoan. Elle n'était même pas parvenue à le blesser, et elle souffrait de mille plaies béantes. Elle était aspergée de sang, son propre sang. Essouflée, elle faisait toujours face au Haut-Seigneur, un genou à terre sous la douleur. Son sang frappait dans ses veines, son corps charriait du feu, et son esprit était plus clair qu'il ne l'avait jamais été. Elle avait cessé d'être réellement mortelle, depuis qu'elle avait entamé son combat contre Tharoan. Elle l'avait senti… le Magyön ! Elle l'avait senti prendre possession d'elle, et tenté de dresser un bouclier contre sa souffrance. Elle l'avait senti rallonger ses sens et la portée de son aura., Elle l'avait senti envahir ses muscles, et lui révéler à mots secrets l'harmonie de ce monde… son harmonie. Elle avait alors compris, le secret des Chevalier-Lyres, cette union avec l'essence même des choses. Elle avait compris comment ces guerriers et ces guerrières faisaient, pour survivre à toutes les batailles, et affronter des milliers de gobelyns sans jamais mourir, ni compter sur la moindre chance. Elle avait compris, car elle aussi, désormais, étaient une Lyre. Elle aurait pu faire tout cela, et s'en savait désormais capable. Un destin lui avait été échu, et lui donnait la force de cent âmes nobles et courageuses !
Que son destin soit de mourir des mains de Tharoan importait peu, le doute n'existait plus.
Elle releva la tête, contemplant ce monstre de guerre qu'était Tharoan. Il la regardait avec respect, avec ce même respect que l'on accorde à ceux qui mourront vite. Catherine ne voyait pas ses yeux, ni son visage, mais seulement cette armure légendaire, cette hallebarde carnassière, et ce personnage hors du temps, immortel, qui rayonnait d'une puissance démesurée, au delà de toute chose. Catherine sentit alors que Tharoan aussi, avait été mortel, et Lyre, il y a peut être plusieurs millénaires de cela. Elle comprit qu'on ne formait jamais les héros au prix de batailles connues, mais dans le sang, l'ignorance, et dans des faits d'armes que nul témoin n'a jamais conté, que nul messager ne rapporta à qui que ce soit. Tharoan était venu de nulle part, et sa légende ne s'écrivit qu'à partir de ce moment là. Avant cela, tout n'était que mystère…
Peut être que Catherine aussi aurait pu devenir un Haut-Seigneur, dans un autre temps, sur un autre monde. Son instinct lui disait que cela faisait partie des possibles, mais que cela n'arriverait pas, car elle mourrait aujourd'hui. Le Magyön l'avait élevée au statut de Lyre, mais il n'avait pas abandonné Tharoan, bien au contraire. Le Magyön la protégeait en partie de ses blessures, tout comme il soutenait la main et l'arme de Tharoan, qui se levait inéluctablement au-dessus de sa tête. C'était la volonté du Magyön, et rien n'y personne ne pouvait aller contre l'essence même des Terres de Saïhan…
Catherine sourit, et la hallebarde retomba, lui retirant la vie, aussi sûrement qu'elle l'aurait retiré à n'importe quel autre mortel…



Skagorr et Syskayïn coururent longtemps, à couvert, furtivement, tâchant de mettre la plus grande distance entre eux et Tharoan. Quand ils arrivèrent dans un lieu retranché du front de guerre, ils s'arrêtèrent enfin. Skagorr dit alors :
- Je doute qu'il nous poursuive…. Mais mieux vaudrait nous faire oublier quelques temps… Pour le moment.
- Pour le moment, se contenta de rajouter Syskayïn…
Le dragon s'éveillait de nouveau en lui, lui infligeant la haine et la violence envers les Daronoans. Mais l'esprit de Syskayïn n'avait rien perdu de sa puissance, bien au contraire. Il musela l'animal, dans un silence oppressant.
Skagorr n'ajouta rien, et ils se regardèrent longtemps, observant ce visage ennemi qu'on leur avait appris à détester.
Au bout d'un long moment, Skagorr baissa la tête, et se contenta de lui tendre la main.
Syskayïn hésita quelques instants, puis la prit…
Après ce bref salut, qui insultait avec honneur et gravité les raisons d'être des massacres qui se perpétuaient partout ailleurs sur Saïhan, ils se quittèrent.
L'heure était à la réflexion, et au deuil, et chacun portait désormais sur ses épaules le lourd poids de révélations terrifiantes, et de questions plus innombrables et insolubles encore…



Scytale congédia ses généraux encore présent, puis fit enfin entrer l'inconnu dans sa salle personnelle :
- Ta missive était alarmante, mon ami… Dis m'en plus, tu as été absent si longtemps…
L'inconnu retira sa capuche et son foulard, qui dissimulait son visage. Skagorr darda son regard cendreux sur le gobelyn, rangeant son foulard dans une de ses poches. Aucune joie ne pouvait se lire dans ses yeux :
- J'ai besoin que tu me caches, Scytale… Que tu me caches de mes propres frères Daronoans…
Le gobelyn était sombre et soucieux, et but un peu d'eau pour se rafraîchir, son armure parfaite ne faisant pas le moindre bruit lorsqu'il bougeait. Il répondit :
- Bien sûr, tu sais que tu auras toujours un abri ici, dans mes forteresses…
- Merci à toi… Et maintenant assied toi, les nouvelles que j'apporte portent grand malheur, et risque de changer à tout jamais l'avenir de cette guerre…



- Seigneur ? Osa redemander le servant.
- Va-t-en ! Lui hurla Eriän. Que m'importe le sort d'une forteresse gobelyne, quand le sort du monde entier est en jeu !
Le servant referma prestement la lourde porte, laissant seul le commandeur Daronoan, face au soleil couchant qui pénétrait par l'unique fenêtre de sa chambre.
Les pas du valet résonnèrent en écho profond dans la salle imposante. Eriän était seul, seul avec ses sombres et obnubilantes pensées, et ses doutes infinis. Cette nuit là encore n'apporterait nul repos, comme toutes celles qu'il avait traversé, depuis cette nuit maudite, à laquelle il avait fait l'erreur insoutenable de survivre…



Marius contempla le soleil rasant, au sommet la plus haute montagne. Son visage n'exprimait qu'une paix sereine, mais personne n'aurait pu dire ce qui se cachait en dessous. Ici, personne ne l'avait retrouvé. Ici, personne ne le retrouverait jamais. Ici, personne ne le chercherait.
Un simple pèlerin au sommet d'une montagne… Marius, pour le moment en tout cas, avait délaissé ses armes. Cette assemblée avait tourné une page de l'Histoire de Saïhan, plus rien ne serait jamais comme avant…
Marius était exactement là où il devait être, et il y resterait. Combien de temps encore ? Nul n'aurait pu le deviner, ou plutôt : nul ne le devrait…
Le temps. Le temps. Les temps fuyait à toute vitesse…
Marius regarda le soleil rasant, au sommet de la plus haute montagne, tant qu'il le pouvait encore…



Syskayïn avait réintégré son fort. Il aurait bien aimé pouvoir réfléchir à tout cela sereinement. Il aurait bien aimé pouvoir en référer au Synode des Vénérables, ou au Cercle des Sharras. Mais il ne pouvait pas, absolument pas. Il était seul, ou presque. Qu'il ne le fut pas était peut être encore plus effrayant…
Tant de questions, et tant de doute…
Et pour la première fois de son existence, il avait senti la faiblesse du Magyön, en lui. Pour la première fois, le dragon qui dévorait son âme avait pris peur…
Cette peur l'habiterait jusqu'à sa mort, car il avait touché du doigt un noir cauchemar, et une hantise ancestrale s'était emparée de lui, pour ne plus jamais devoir le libérer réellement…
Mais son devoir l'appelait, et lui procurerait peut être quelques rares et précieux instants d'oubli salvateur.





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