"- Il faut les tuer dès leur arrivée ! S'énervait un des gardiens loups.
- Les elfes pourpres ne nous savent peut être pas membres du complot ? Tenta de le contredire calmement un des conseillers en robe grise.
- Il suffit ! Coupa court le seigneur loup qu'on appelait "le Darmule"."
Assis sur le trône de bois broché de sa tente de campagne, le Darmule en frappa un accoudoir violemment, faisant voler des échardes de bois en tout sens, et résonner son armure d'acier terni jusqu'à l'obscur par des dizaines de batailles.
Sa cour se tut.
Conseillers, gardes, vassaux, tout le monde savait que lorsque le Darmule avait arrêté sa décision, ergoter n'apportait plus rien d'intéressant au débat, et pouvait même s'avérer dangereux. Le seigneur loup était féroce et efficace.
Cela avait contribué à son ascension sinon fulgurante, du moins inexorable dans la hiérarchie guerrière louve, et lui attribuait un avenir prometteur parmi les plus grandes sphères du pouvoir lupin.
La tension était perceptible, comme un grésillement qui empuantissait toute la vaste tente où l'état-major était réuni, chaque soir, après les batailles ou le voyage du jour.
Les moustiques des marais et autres parasites des fanges grouillaient autour des braseros à crottin, et se prenaient dans les barbes et les cheveux drus des guerriers présents, quand ils n'étaient pas gobés par les chacals et autres animaux de compagnie vicieux et cruels des divers officiers malandrins.
Les hommes du peuple Loup ne s'en préoccupait même pas, tout à leur peur et leur nervosité personnelles.
Le marécage était leur habitat d'origine depuis toujours, les prédateurs et parasites naturels avaient appris depuis des générations à ne plus se frotter directement à eux et les évitaient d'instinct, quand faire se pouvait.
Le Darmule pris le temps de toiser du regard tous ceux présents dans son petit hall de tissu épais et poisseux, et fit cracher sa voix éraillée et profonde à nouveau :
"Des générations, que nos familles et ancêtres subissent le joug elfique, et personne n'a jamais réussi à tenir tête aux Daronoans avant cela ! Pas de mémoire louve, en tout cas ! Ils sont plus grands, ils sont plus forts, ils sont plus intelligents et nous écrasent dans tant de domaines militaires que nos propres bardes n'ont même pas de légendes de victoires à conter..."
Un colosse loup chauve et aux innombrables cicatrices grogna de mépris en entendant cela.
Le Darmule le pointa du doigt :
"- Et c'est pourtant la stricte vérité, tas d'idiots que nous sommes ! Tempêta-t-il. Ce n'est pas en nous cachant la figure dans la vase que ça y changera quoi que ce soit !
- Tu prétends donc qu'il faut abandonner la rébellion, maintenant, le Darmule ? Coléra un autre de ses vassaux.
- Bien sûr que non. Avec leur grande guerre contre les gobelyns, qui les assaillent de partout, en provenance du nord, depuis presque deux ans, nous n'auront jamais d'occasion aussi belle !
- Alors quoi ? Questionna respectueusement, mais fermement, son conseiller le plus proche, le dénommé Gris-Grelet. L'assaut secret de ce taureau de Suzerain Gurnoüs a pourtant été éventé par les espions Daronoans. Vous avez entendu le rapport, messire, ils se sont faits massacrés, armes à la main, avant même le début de la vraie bataille !
- ...Et les percepteurs plénipotentiaires elfiques vont arriver dans notre camp d'une minute à l'autre, maintenant, renforça un des vétérans, visiblement fébrile de nervosité et d'appréhension mêlées.
- Jusqu'à preuve du contraire, ils ne sont pas au courant de tous nos préparatifs, dénigra le Darmule, plus calme, même s'il comprenait et partageait cette frousse fétide qui transpirait de toute la tente.
- Des mois que nous nous préparons et que nous massons toutes nos troupes près des avant-postes elfiques dans nos marais, jeta le colosse chauve hautain. Et voilà que le premier assaut est démonté comme s'ils avaient toujours su notre objectif premier...
Le Darmule trouvait la plupart de ses interlocuteurs méprisables.
Les Loups étaient depuis des générations annexés à l'empire elfique. Les humains des marécages devaient fournir armes, logistiques, secrets militaires ou même bataillons en masse pour la cause Daronoan, depuis lors, et d'autant plus depuis le début de la Grande Guerre.
Cela c'était toujours fait à contre-coeur, et les Daronoans n'avaient jamais été dupes ! C'était bien pour cela qu'on trouvait encore tant de patrouilles et de fortins elfiques aux abords de leurs marais, et que les convois de percepteurs étaient toujours aussi armés, et d'autant plus depuis l'aube de la Grande Guerre.
Le Darmule arrivait presque à entendre les pensées du Roi des elfes pourpres, à des milliers de lieues de là : "bien sûr que les Loups se rebelleront à la moindre de nos faiblesses. Mais en attendant, soutirons-leur autant que nous le pourrons !"
Quiconque avait deux doigts d'esprit parvenait rapidement aux même conclusions.
La dîme elfique augmentant exponentiellement avec leur effort de guerre, il avait été tacitement accepté par les elfes pourpres de voir les armées louves se préparer en masse et comme jamais, dans les marais. Après tout, la plupart des soldats étaient ensuite acheminés au front par les elfes, ou envoyés en armée d'assaut contre les domaines gobelyns au plus profond des marais, avec l'espoir de percer les lignes des peaux-vertes pour tomber sur l'arrière de leurs plus grosses armées, celles affrontant les Daronoans plus à l'Est.
De la stratégie élémentaire, de la politique de base, et de l'intelligence classique.
Mais comment faire comprendre cela à ces rustauds qu'il contemplait à l'instant même ?
Comment leur faire comprendre qu'un seul assaut avorté, quand bien même ce fût le premier, n'était pas un mauvais présage ni la fin de toute leur entreprise de rébellion ?
Les Loups avaient été dressés il y a trop longtemps, et trop fort... Il était grand temps qu'ils réapprennent à être libres, sauvages et féroces !
- Silence, silence et silence, tas de fumier croupi !! Silence ou je vous casse les dents à la hache ! Admonesta le Darmule. D'accord, les Daronoans ont gagné la première bataille ! Bien sûr, il est possible que les percepteurs arrivent en force, et en parfaite connaissance de nos préparatifs à leur encontre ! Auquel cas nous ne pourront rien y changer, les choses sont déjà en marche ! Mais dans le cas contraire, et si vous faites dans vos braies, que croyez-vous que tous les soldats vont flairer, là dehors, quand vous sortirez ?
- L'excrément ! Tonna un vassal dont la fébrilité ne nouait pas sa langue trop fortement. Tout le monde éclata d'un rire nerveux.
- Exactement ! Relança le seigneur loup d'un sourire carnassier. Vos gars vont mouiller leurs poils tellement forts à vous voir trembler que les percepteurs Daronoans verront à dix kilomètres que quelque chose cloche ! Alors vous allez me faire le plaisir de bouffer de la neige pour vous refroidir le sang, et de faire comme si de rien était ! Gardez vos armes à portée de main, et attendez mon signal avant de faire la moindre stupiderie qui nous coûterait la vie à tous ! Vous connaissez le plan ! Gardez moi vos chiots dressés et disciplinés, là dehors, et séchez vos coutures, une guerre nous attend !
- Haroooo !! Gueulèrent tous les loups de la salle.
Le Darmule avait toujours été rusé et bon maître de guerre.
Faire l'unanimité était toujours plus facile, quand vous aviez raison...
Il fallût une heure de plus avant que les plénipotentiaires Daronoans arrivent, et juste eux, grand soulagement.
Ca rejetait au moins l'éventualité d'un massacre armé frontal. Il restait toujours la possibilité d'une embuscade ou d'une entourloupe Daronoan quelconque, mais le Darmule restait confiant, et se savait incapable de faire machine arrière, le cas contraire.
Les dés étaient jetés, et les Dieux seuls en connaissaient le résultat...
"Les Lords Orossoan et Waran, sous l'hospitalité du seigneur Darmule !" Annonça le garde loup à l'entrée de la tente.
Deux colosses elfiques entrèrent alors dans la tente de commandement.
Un couple, un homme et une femme, tous deux dépassant d'au moins deux têtes tous les loups présents. Il n'y avait guère que Gastus, le gigantesque garde du corps du Darmule, pour égaler, avec peine, leur stature, et celui-ci était pourtant réputé pour son effroyable taille.
Les deux elfes étaient engoncés dans les monstrueuses armures rouges sombres typiques des Daronoans, véritables tombes de métal impénétrables, que remplissait sans peine leur morphologie musculeuse en diable, homme comme femme.
Il y avait d'ailleurs peu de différence physique entre les deux sexes, chez les Daronoans. Seule la ciselure et la coupe du poitrail de la dénommée Waran permettait de soupçonner une vague poitrine féminine sous les couches de métal. En dehors de cela, les même visages grisâtres, aux cheveux secs, aux oreilles pointues, et aux teints et expressions cendreuses. Sans leurs yeux couleurs de lave, on aurait pu les croire morts, dans leurs armures.
Même sans leurs armes terrifiantes, ils semblaient aptes à broyer n'importe quel Loup de leurs seuls poings gantés d'écrevisses ouvragées.
Quatre autres gardes entrèrent avec eux, tous aussi imposants et démesurés, et le Darmule espéra qu'il n'y en avait pas trop ni vraiment plus, au dehors.
Les six présents sous la tente occupait déjà un bon espace, et même avec trois fois leur nombre de vétérans et de vassaux Loups à ses côtés, et leurs modestes armées dehors, le Darmule se perdait en conjoncture quand à l'estimation des véritables forces en présence...
Trois des gardes à l'intérieur semblaient simples et massifs, mais un autre semblait très vieux et blessé. Vu le nombre de traces de combat sur son armure, son maintien, et son visage dévasté, il était sans nul doute le guerrier le plus redoutable de toute la bande. Les gobelyns adoraient commencer par sabrer l'élite des forces Daronoans, à chaque embuscade, avant de s'en prendre aux autres. Un point pour eux. Toujours été les plus doués, les gobelyns...
- Salutations, seigneur Loup... lança la femme Daronoan, d'une voix caverneuse qui semblait faire résonner les braseros et l'acier loup.
- Entièrement vôtre, mes Lords, répondit poliment le Darmule, avec un vaste sourire de circonstance.
- La dîme du jour : nous requérons un coffre rempli de rubis.
Les percepteurs perdaient rarement du temps, surtout avec une guerre sur le feu et des interlocuteurs malgréant. Elle désigna un coffre de bois tenu par deux des guerriers elfes derrière elle. Il avait beau demander deux manutentionnaires, il restait modeste. Les Daronoans savaient épargner la susceptibilité et le trésor Loup, même sachant ceux là capables de payer bien plus. Cela avait toujours frustré le Darmule. Il préférait des ennemis plus stupides et capables de vraies erreurs...
L'autre Lord continua :
- Il nous faudra aussi la gracieuse autorisation de traverser vos terres d'Elmarus avec une patrouille Daronoan.
- Certes, messeigneurs, s'inclina le Darmule. En quelle taille et quelle période doit-on s'attendre à votre passage ?
- Nous ne savons pas encore, nous vous tiendront au courant...
"Tu parles", pensa en lui même le seigneur Loup. "Toujours malins, ces démons rouges..."
- En sus, rajouta la Lord Waran, il nous faudrait une trentaine de vos guerriers. Formés et groupés, rajouta-t-elle.
- Gris-Grelet, mon brave conseiller, va les ponctionner sur ma propre garde d'élite, parmi les plus vétérans... Mes plus JEUNES vétérans.
Le Darmule ne ferait pas d'erreur non plus, et n'avait jamais insulté ses hôtes en leur refilant de vieux soldats faisandés ou des néophytes à peine capables de tenir une arme. L'expérience lui avait appris que grâce à ces friandises gratuites de sa part, il était parmi les seigneurs de guerre les moins "ponctionnés" par les Daronoans. "En bonne intelligence" n'avait jamais eu meilleure illustration.
Le conseiller acquiesça aux ordres de son seigneur, et partit de suite.
Il envoya d'un geste de la main un autre sous-fifre s'occuper du coffre, et tâcha d'entreprendre la conversation avec ses hôtes, pendant qu'on apportait à boire et à manger, à la volée.
Les Daronoans ne lâchaient aucune information militaire véritable, mais le Darmule n'hésitait pas pour sa part à leur résumer les dernières avancées louves, et leurs plans divers. Sélectionnant uniquement ceux concernant les gobelyns, évidemment.
Sans aucun signe extérieur visible, il sentit les Lords se détendre peu à peu, à mesure que la tente fourmillait d'activités, et accorder quelques anecdotes personnelles sur les dernières grandes batailles de ce secteur.
On remplissait peu à peu le coffre, le sergent de la garde d'élite détachée vint faire son rapport et prendre son nouveau commandement, un acte officiel de traversée de ses terres et de celles de ses vasseaux dans la région qu'on appelait Elmarus fût ratifié, tout se passait pour le mieux.
Vint alors le moment que le Dalmure attendait.
Le Lord lui tourna le dos pour aller remettre l'acte à l'un des guerriers d'escorte, qui se tournait de même pour faire passer celui-ci à l'extérieur de la tente, sans en sortir. Un page avait renversé quelques rubis à l'extérieur du coffre, par pur accident, et se mit diligemment à genou pour les ramasser, avec l'aide du vieux daronoan blessé, et les remettre dans leur contenant final.
Le Dalmure discutait de protocole avec la dénommée Waran, qui s'épongeait le front d'un revers, plus habituée aux fronts hivernaux des montagnes qu'au climat étouffant des marais.
La fenêtre était excessivement mince, mais le seigneur Loup savait qu'il n'aurait jamais droit à mieux, connaissant les Daronoans.
Toujours sur leurs gardes, jamais désarmés, il n'existait pas de "bon moment", avec ces elfes pourpres.
Sans même prendre le temps de consulter les autres Loups de la tente de commandement (il ne l'aurait jamais eu de toute façon), il se jeta en avant de son trône, au beau milieu d'une phrase, tout en dégainant avec la plus grande rapidité dont il était capable sa grande épée à deux mains, et en beuglant son cri de guerre :
- MOHIRRAAAAAA !!!!
Il axa tout son geste sur le seul objectif de la prestesse : ne prenant même pas le soin de le repousser, il trancha en plein dans un domestique qui passait devant lui avec un plat de fruits verts, concentré uniquement sur la Lord, qui devrait en tout état de cause se trouver sur la trajectoire de sa lame, quelque part de l'autre côté de ce corps déjà en train de se diviser en deux moitiés sanglantes.
Il ne s'était écoulé qu'une demi-seconde, mais la Lord bloquait déjà sa lame de sa propre hache, pourtant titanesque et plus lourde que le domestique lui même.
Le reste ne fût que du même acabit : bien préparés à jaillir à son signal, les vétérans Loups sous la grande tente s'étaient jetés du même élan, d'instinct.
Le gros Loup chauve à l'intelligence sotte et méprisante tamponnait la Lord de côté, la repoussant à peine de côté malgré sa masse imposante.
La brute touffue qu'on appelait "Poil-Dru" abattit sa hache crasseuse sur le dos du Lord Daronoan nommé Orossoan, et continua de le marteler sans lui laisser la moindre chance de montrer s'il était encore en vie ou non.
Gastus le colosse se jeta dans la mêlée en embrochant un domestique au passage, et en piétinant le page lupin revenant avec des rubis. Ils n'avaient qu'à avoir réagi plus vite, l'heure n'était plus aux subtilités.
Dix loups bondissaient, quatre gardes Daronoans répondaient. Domestiques, plats, rubis, papiers, braseros et nourriture volaient en tous sens, aucun des combattants n'y prenaient la moindre garde ou n'en faisant le moindre cas, bataille, surprise et survie obligent.
Le Darmule ignorait si les Loups à l'extérieur réagiraient assez vite pour se lancer à l'assaut des Daronoans restants.
Beaucoup de ceux à l'intérieur commençaient déjà à se faire tailler en morceaux par les elfes, alors que eux étaient prêts au combat.
Ceux de l'extérieur devaient déjà être en train de se faire massacrer sommairement...
Le seigneur Loup hurla à Gastus de s'en prendre au vieux. L'entendit-il seulement ?
Quelques secondes à peine s'étaient écoulés depuis le début des hostilités, et tout était déjà repeint à grandes giclées de sang, à l'intérieur.
Gastus le géant s'enfonça de force dans le carré Daronoan pour s'en prendre au vieux Daronoan, qui avait déjà percé trois loups avec des dagues grandes comme des épées que le Darmule n'avait même pas vu jaillir.
La Lord revint au seigneur, après avoir défoncé le crâne de son gros chauve d'adversaire.
Il esquiva le premier coup en se baissant. La hache défonça le trône comme du papier. Il lui sauta au visage pour éviter le retour de hache, qui emporta un autre Loup, pénétrant profondément son armure pourtant réputée solide comme le granit.
Le seigneur en profita pour lui planter son épée à deux mains dans la clavicule, avant qu'elle ne profite de son élan pour le projeter à l'autre bout de la tente comme un sac. "Lâche pas ton épée ! Lâche pas ton épée !" fût la seule chose que le Darmule parvint à penser alors qu'il s'écrasait durement à l'autre bout de la tente.
Gastus fit à peine craquer les jointures de l'armure du vieil elfe blessé malgré un coup dévastateur. Bien visé, toutefois : le vieux poussa un râle qui montra au guerrier géant où était sa blessure précédente. Ce qu'un gobelyn avait commencé, il était décidé à le terminer.
Un guerrier elfique tomba, emportant un autre vassal dans la mort, par la simple inertie massive et calculé de son coup précédent.
Le Darmule repartait déjà au combat, vivace et teigneux comme une plante des mangroves.
Par pur réflexe, il se servit d'un domestique comme bouclier pour encaisser le coup suivant, qu'il devina plutôt qu'il ne vit vraiment.
Il remarqua benoîtement un loup vomissant de rage et de douleur au visage d'un autre guerrier Daronoan, alors que celui-ci lui éclatait le foie d'un coup de poing massif. Le Loup tombait au sol dans un gargouillis d'agonie, mais un autre profita de l'aveuglement passager et nauséabond du Daronoan pour l'achever, une masse étoilée emportant la moitié du visage grisâtre.
Un morceau d'armure vola dans la pièce, le seigneur Loup ignorant à qui il pouvait bien appartenir. Son adversaire lui trancha vivement le bras au passage.
Le Darmule fût éclaboussé par son propre sang, mais il était, sur le moment, trop frénétique pour y prendre garde. Ca lui avait sauvé la vie de nombreuses fois, auparavant, et ça venait de le refaire à nouveau, durant ce court laps qu'il mit plutôt à profit pour sonner son adversaire d'un coup de pommeau, et lui dévaster l'aine d'un revers grandiose de son épée.
Toute la tente était désormais rouge, et le Darmule doutait que ce fût la seule faute du sang lui dégoulinant du visage.
Il délaissa son épée désormais trop lourde pour une seule main. L'adrénaline pulsait en lui, et il ne ressentait aucune douleur.
La douleur viendrait plus tard, et il lui saurait effectivement gré de patienter.
La Lord s'était rapprochée de lui, des morceaux d'entrailles louves dégoulinant de toute son armure, rouge sur rouge, et sa bouche figée sur un rictus de colère, son visage aussi éclaboussé et malmené que ceux des autres combattants encore vivant.
Elle allait le fendre en deux, d'une manière ou d'une autre, se dit-il.
Les gardes Loups pénétrèrent à ce moment là sous la tente.
Il avait complétement oublié qu'une trentaine de ses vétérans parmi les plus réactifs et sournois étaient stationnés là, avant le début de la bataille.
Il ne restait plus grand chose de cette meute, mais ce fût suffisant pour qu'à eux tous, ils aillent mettre à bas la Daronoan, tout le monde glissant sur les cadavres amoncelés sous la tente, patinant sur les agonisants, roulant sur les morceaux de bidoche et d'abats en tout genre.
Gastus fût finalement terrassé par le vieux blessé, qui emportait encore Loup après Loup dans une tornade de coups quand le Dalmure sortait en titubant de la tente, enjambant les cadavres.
Ce combat n'était plus le sien, à la piétaille de venir à bout du vétéran, lui n'en pouvait plus et avait d'autres choses à régler, désormais.
Il retrouva deux de ses vassaux encore vivants, à l'extérieur, occuper à se congratuler de cette belle escarmouche et à compter les morts à l'extérieur.
Le Darmule entreprit de se faire un bandage pour arrêter l'hémorragie de son bras, tendit que des soldats Loups accourraient de toute part.
- Belle manoeuvre, au final ! Se targua un des vassaux, "l'Ongulé", appelé ainsi en raison de sa passion pour les rhinocérocs.
- Et beau gain : on devrait pouvoir récupérer pas mal de pièces d'armures sur eux, commenta le Darmule, ainsi que ce qu'ils avaient collecté jusque là. On a pris les charettes ? Hey, vous, sous la tente, vite !
Une dizaine de soldats pénétrèrent dans la structure de tissu mouchetée de l'intérieur. Ca continuait à se battre, en-dedans.
Gris-Grelet, son conseiller, vint le rejoindre, et l'état-major s'éloigna quelque peu.
- Les charettes, oui, mais les armures nous serviront plus, si l'on veut tenter une opération d'embuscade, répondit ce dernier venu.
- Cela pourra nous servir plus tard, botta en touche le Darmule. Pour l'instant, allez réunir vos soldats et redistribuer les autres entre les officiers restants et les nouveaux promus d'office. Sonner l'appel, réunissez les armées, et préparez la levée du camp...
La tente se déchira dans un grand bruit : le vieux Daronoan en jaillit, et se mit à reculer de quelques bonds lestes et meurtriers, se tenant les côtes d'une main, mais massacrant tous ceux qui s'approchaient de l'autre.
Un autre contingent de Loups courut à la mêlée, et ils tentèrent de l'encercler de piquiers, mais l'elfe se mit à s'enfuir à travers les autres tentes et disparut de leur vue.
- Il va falloir finir celui-là à la catapulte, j'ai l'impression... soupira le Darmule.
- Ce n'est pas toi qui actionnera l'engin, en tout cas ! Se moqua l'Ongulé.
Tous partirent d'un rire franc, tendit que le Darmule attrapait un "charognard" par le col, pour qu'il lui prépare quelques potions désinfectantes pour sa mutilation.
Un peu plus loin, quelques cors résonnaient, tandis que trois colonnes de cavaliers Loups se lançaient à la poursuite du fuyard, qui ne faisait que repousser l'inéluctable...
"Repousser l'inéluctable", se dit le Darmule. Voilà bien de quoi il s'agissait.
Personne n'était dupe, la rébellion louve était inexorable. Lui le savait, tous les Loups le savaient, et les Daronoans s'en doutait aussi bien. Le Roi Pourpre n'était pas un idiot.
Perdre la première vague de Gurnoüs était handicapant, mais il n'était que le premier, et les espions Daronoans ne pouvaient être partout, comme cette escarmouche venait de le prouver.
S'ils étaient partout, ils auraient su que le Dalmure était en charge de la deuxième vague, sur ce secteur, et que ce soir démarrait le plus grand assaut Loup contre les elfes qu'on est vu depuis des générations.
Et quand bien même les elfes pourpres les arrêteraient ici, d'autres armées étaient déjà en marche, bien plus au Nord, et encore ailleurs.
Le Dalmure paierait cher pour voir la tête des cités Daronoans séculaires de la Marginale de Verre, face au tout-puissant Harulgund et ses légions, ou la tête de ces orientaux de Nantys Cairn, quand les Vandales frapperaient à leurs portes avec leurs propres scalps ! Ou encore entendre les derniers soupirs des centaines de milliers d'elfes de la Baronnie Sombre, plus au Sud, quand les cohortes pléthoriques de la Vermine jailliraient des Montagnes de Larmes au plus profond de la nuit, pour s'infiltrer en plein territoire elfique !
Et il y en aurait encore d'autres, après cela. Bien sûr, seuls les premiers avant-postes Daronoans brûleraient facilement. Ensuite, le conflit s'enliserait, et ils perdraient eux aussi des dizaines et des dizaines de villes, de forts et bastions, mais le mouvement était lancé...
Les Loups avaient regagné leurs crocs, et ils étaient assoiffés de sang !
Brûle le Roi Pourpre ! Brûle le Sanctuaire Vert ! Brûlent tous les ennemis des Loups !! Que la Conquête commence !!!
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