- Entrée en scène
Le feu de camp crépitait sous la bruine insistante d’une froide fin de journée. Quelques pâles étoiles apparaissaient timidement entre deux fronts de nuages sombres. Le tonnerre et les éclairs n’étaient pas de la partie mais ce n’était qu’une question de temps.
Les flammes dansaient autour de la silhouette massive caractéristique d’un Daronoan. Son visage restait caché sous son ample capuche stylisée. Son armure salie par la boue et le sang séché, laissait à peine distingué son rang de Chevalier. Accroché à sa Lame, le daronoan semblait perdu dans ses pensées. Il se remémorait ces derniers mois en fait, jusqu’au dernier dénouement d’une vie d’errance.
Il était arrivé des Contrées Limites, les Raîcklîngs comme on les appelle dans la langue elfique, au Sud-est de l’actuel Pays de Dûn, en tant qu’émissaire des populations elfiques des landes depuis longtemps abandonnées par la majeure partie du peuple pourpre. Ils étaient les Oubliés, les descendants des parias d’une époque révolue durant laquelle une minorité de Daronoans avait été bannie pour des raisons depuis longtemps oubliées. Seul restait ce nom, encore connu des Terres Centrales par son aura de défiance et de malédiction rattachée.
Il lui avait fallu parcourir un très long chemin avant de se présenter à la Cour du Roi des Elfes Pourpres. Il était le premier des Oubliés depuis des générations à venir quérir l’aide de son peuple et l’absolution, si tant est qu’elle fût encore possible. Son arrivée et la réaction de rejet de tous ces presque frères qui s’en était suivi, ne l’avait pas mis en confiance, loin de là. Mais sa mission était claire : trouver toute l’aide possible face aux incursions que ses frères et sœurs enduraient depuis quelques années. Les raids s’étaient accentués depuis peu et il devenait difficile aux maisonnées éparses de les repousser comme cela avait été le cas depuis l’arrivée soudaine des Effrayeurs venus de l’autre côté de la Mer des Suppliques, par delà le Bord du Monde.
Il avait été reçu par le Roi, alors même qu’il pensait que tout était devenu sans espoir. Orânhon était l’un des derniers Grands Rois de la Couronne Pourpre et même s’il n’était pas le plus sage ou le plus avisé de son auguste lignée, il possédait un pragmatisme à toute épreuve. Il avait été écouté, longuement. Une fois sa requête exposée, le Roi avait gardé le silence. Un silence lourd qu'il dut supporter alors qu’il avait déjà tant enduré. C’est fébrilement qu’il entendit enfin les paroles du Roi :
- J’ai entendu ton appel, ô fils de mes fils. L’opprobre qui plane au dessus de ton peuple, de MON peuple !, doit s’effacer devant nos difficultés communes. Car apprends-le, mon ami, mon frère, nous subissons les attaques répétés du peuple Gobelyn et toute notre nation a pris les armes afin de défendre chèrement nos territoires et nos vies. Aussi, l’aide que je pourrais t’apporter ne pourra être égale qu’à celle que tu m’apporteras ! Agenouille-toi, Oublié !
Le ton impératif du Roi avait fait ployé la fierté du Daronoan et c’est un genou à terre, la tête baissé, qu’il entendit plus qu’il ne vit ce qu’Orânhon s’apprêtait à faire. Il sentit la froideur de la Lame du Roi sur ses épaules, puis le plat de celle-ci sur sa tête.
- En ce jour, je te fais Chevalier, Oublié. Tu défendras l’ensemble de ton peuple, jusqu’à ce que les hordes Gobelynes soient défaites et repoussées par delà le Grand Désert. Cette menace passée, nous pourrons alors venir en aide à tes pairs et les défaire de ces agressions qu’ils subissent, tels les frères qu’ils seront redevenus pour nous ! Lève-toi et clame bien fort ton nom et ton rang !
- Je suis le Chevalier Dunn Khan et je servirai la Couronne Pourpre, jusqu’à mon dernier souffle !
Et cette fois là, les vivats de la cour suivirent ses pas. Sans doute grâce aux Haut-Seigneurs qui s’étaient tenus auprès du Roi et qui avaient les premiers saluer ce nouvel arrivant.
Tout s’était passé comme dans un rêve enfiévré. Alors qu’il était venu demander de l’aide, il se retrouvait dans le rôle inverse ! Il lui avait fallu peu de temps pour se retrouver à la tête de sa propre armée : toutes les cités Daronoanes étaient devenus des camps retranchés, souvent fortifiés à l’extrême, tandis que de nouveaux Krach florissaient de toutes parts grâce aux nuées innombrables des ouvriers elfiques. Les forges fonctionnaient comme jamais et il s’était vu affublé d’une armure du plus bel ouvrage en un rien de temps.
Il avait donc pris la route avec ses troupes, reléguant déjà bien loin au fond de son esprit les problèmes de ses proches, afin de faire face à une menace encore plus grande, du moins à ce qu’il lui semblait.
Son armée fit plusieurs haltes, afin de prendre les nouvelles des fronts les plus nécessiteux en aide. Parti du Sud-est du Pays de Dûn, il avait d’abord longé le plein Est, avant de bifurquer vers le plein Sud, la situation semblant tendue dans cette partie du monde. Finalement, après quelques escarmouches auxquelles il pût participer, c’est le centre même du pays qui fût sa dernière destination. Là, il put recruter des troupes expérimentées et construire des engins de siège, afin d’aider plusieurs Commandeurs à détruire un post avancé Gobelyn.
C’est en revenant de ce combat, qui n’avait hélas pas servi à grand-chose, le peu d’expérience de ses troupes n’ayant pu palier à l’épaisseur des murs de la forteresse, qu’il tomba sur une horde des créatures issues du Magyön. Le combat allait se dérouler dans une plaine, aucun avantage de terrain ne pouvait être utilisé. Le glas allait sonner, tant le combat paraissait inégal. Les Daronoans sont issus d’une peuple fier et solide, et c’est avec cette énergie, désespérée sans doute, que tous s’alignèrent face aux troupes qu’ils auraient du redouter.
Il n’eût pas à les haranguer longtemps avant qu’ils ne commencent à battre le sol en mesure par le biais de leurs Lames, lances, Arcons et boucliers, dans l’attente de la charge qui ne devait plus tarder.
Ce fût l’hallali ! Rien n’aurait pu arrêter ces créatures, souvent plus hautes que trois hommes. Ce fût un massacre et seule la volonté inébranlable de tous pût leur permettre de résister plus longtemps qu’ils n’auraient dû, en blessant voire tuant des êtres que rien n’aurait pu atteindre selon les Légendes. Même une retraite tardive ne permit pas de sauver ses hommes. Tous furent rattrapés et tués, jusqu’au dernier. Du moins presque jusqu’au dernier …
Car la bénédiction des uns implique la damnation des autres. C’était le dur lot des Commandeurs : devoir survivre à leurs soldats, envers et contre tout. Leur nature même, induite par l'adoubement du Roi, les protégeait de la mort subite en leur permettait de disparaitre aux yeux de leurs ennemis le temps de trouver un abri. Seuls les plus puissants d’entre eux avaient la possibilité de passer outre cet étrange pouvoir, mais il était bien rare de les mettre dans une aussi mauvaise posture.
Il avait donc du fuir, et subir le remord qui le rongeait d’avoir mené tous ces hommes et femmes à une mort certaine. Il en était là de ses réflexions, face au feu qui lentement s’éteignait sous l’action conjuguée de la bruine et du combustible qui faisait défaut. Le jour se levait, une nouvelle journée s’annonçait alors que la pluie, qui avait menacée toute la nuit durant, laissait enfin place aux soleils.
Un nouveau jour commençait pour la nation Daronoane et le Chevalier Dunn Khan …
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